Josiane, elle, voit tout en noir. Josiane adore le noir. Josiane a peur, constamment. Elle s’inquiète, tout le temps. Elle fait des scénarios catastrophe. Elle imagine le pire. Josiane pense que cet avión peut se crasher à tout moment, que ce cheval peut partir au galop sans prévenir en lui cassant trois jambes, que ce pote n’a pas répondu à ce message parce que elle a été une grosse connasse égoïste. Josiane se prépare au pire.
Josiane est une victime dans l’âme. Elle est victime de tout, de Jason, de la vie, de sa famille, du monde en général. Tout le monde s’est ligué contre elle pour lui faire la vie misérable. Josiane est addict à la mélancolie. Elle se complait dedans. Elle s’y morfond, s’y repait, s’y baigne avec un morbo un peu bizarre.
Josiane est folle amoureuse de Jason. Depuis le premier jour. Elle lui laisse tout dire, tout faire. Il est tellement beau avec sa chemise noire et ses yeux coquins. Il peut l’insulter, la mépriser, la rabaisser, au fond, elle sait qu’il a raison, elle n’est qu’une merde. Quand il est fâché, elle se recroqueville et essaie de l’amadouer avec ses yeux de biche. Ça marche rarement. Jason prend du plaisir à exercer son pouvoir sans limite. C’est excitant, jouissif de réduire quelqu’un en miettes. Josiane paradoxalement aime çà aussi quelque part. Elle n’a que ce qu’elle mérite.
Josiane ne serait rien sans Jason. Elle ne pourrait même pas exister. Il est tout pour elle. S’il la quitte, elle mourra. Elle ferait tout pour le retenir, jusqu’à le menacer de mourir. Elle l’adore et le déteste à la fois. Pourtant, quand il se déchaine contre elle, elle a mal, mal au fond du coeur. Elle se sent triste, si triste parce qu’elle voudrait qu’il l’aime, qu’il l’embrasse, qu’il la couvre de baisers. Elle ferait n’importe quoi pour çà. Mais au lieu de çà, il lui crie dessus, il se moque, et çà la détruit à l’intérieur. Elle chute progressivement, dévalant les escaliers comme Scarlett dans Autant en emporte le vent, elle essaie de se relever mais elle se fait tabasser encore et encore. C’est un jeu qu’ils ont, un jeu malsain, elle le sait mais un jeu quand même, au moins quand il la tabasse, il n’est pas avec une autre, il l’aime, il s’intéresse à elle, il est avec elle. Elle n’a qu’une peur, c’est qu’il s’en aille. Que ferait-elle sans lui? Que serait sa vie? Rien, vide, sans but. Elle n’aurait pas la force, c’est sûr.
Alors elle le laisse faire même si elle sait que ça va la mener à sa perte. Parfois elle résiste, elle crie aussi, elle se révolte mais elle perd à chaque fois. Il est plus fort qu’elle. Il s’en fout.
Josiane s’enfonce, petit à petit, dans sa tristesse, dans son impuissance, dans une situation sans issue. Partir? Pour quoi faire? Pour aller où? Rester? Et mourir sous les coups? Il n’y a pas de solution viable. Elle se laisse descendre progressivement, consciemment, elle lâche du lest, pour que ce soit un peu plus facile, au jour le jour. Elle voit une lumière au bout du tunnel, qui l’attire. Elle se dit que si elle se laisse aller complètement, tout va s’arrêter. Elle n’aura plus mal, elle n’aura plus à se battre, à décider, à lutter. C’est sa seule issue face à Jason. S’enfoncer progressivement et disparaitre sans bruit. Seule dans la nuit.
Cendrillon pour ses vingt ans Est la plus jolie des enfants Son bel amant, le prince charmant La prend sur son cheval blanc Elle oublie le temps Dans ce palais d'argent Pour ne pas voir qu'un nouveau jour se lève Elle ferme les yeux et dans ses rêves Elle part, jolie petite histoire Elle part, jolie petite histoire
Cendrillon pour ses trente ans Est la plus triste des mamans Le prince charmant a foutu l'camp Avec la Belle au bois dormant Elle a vu cent chevaux blancs Loin d'elle emmener ses enfants Elle commence à boire A traîner dans les bars Emmitouflée dans son cafard Maintenant elle fait le trottoir Elle part, jolie petite histoire Elle part, jolie petite histoire
Dix ans de cette vie ont suffi A la changer en junkie Et dans un sommeil infini Cendrillon voit finir sa vie Les lumières dansent Dans l'ambulance Mais elle tue sa dernière chance Tout ça n'a plus d'importance Elle part Fin de l'histoire
Notre père, qui est si vieux As-tu vraiment fait de ton mieux? Car sur la terre et dans les cieux Tes anges n'aiment pas devenir vieux
Au milieu de tout ce bordel, il y a Clara, ou Claire mais Clara c’est plus classe.
Clara ne sait pas trop ce qu’elle fait là pour être honnête. Elle a été placée là pour une raison par l’univers mais elle ne sait pas bien laquelle.
Clara est témoin sans le vouloir. Elle voit ces gens bizarres s’entredéchirer et elle ne sait pas bien quoi faire. Elle est à la fois abasourdie, effrayée, paralysée. Elle est comme un élément extérieur à la scène.
Jason et Josiane prennent toute la place. Toute. Ou 99, 99999 % de l’espace. Un matin, Jason prend le dessus avec ses critiques et sa rage. D’autres matins, Josiane monopolise la scène avec ses lamentations. C’est un shit show. Tous les jours, il se passe quelque chose. A tout moment, ils sont prêts à sortir de l’ombre et bondir à la moindre nouvelle. Ils ont besoin d’une attention de fou. Tout le temps sur le devant de la scène. Clara se dit que c’est un peu puéril mais bon, elle les laisse faire.
Et c’est bien çà, le problème de Clara, elle les laisse faire. Elle leur laisse envahir TOUT l’espace. Elle, elle se fait toute petite. Elle n’a pas l’espace pour en placer une. Personne ne la voit. Personne ne l’écoute. Elle sait qu’elle est plus saine que tous ces gens là. Mais ils ont d’autres préoccupations, apparemment plus pressantes. La seule façon d’avoir un role est de s’occuper d’eux, de se mettre entre les deux, au risque de se faire défoncer à son tour.
Sinon Clara est témoin muet de la scène. Elle voit, elle comprend mais elle ne peut rien faire. Elle subit. Evidemment personne ne s’occupe d’elle, cela va s’en dire. Mais même elle, elle ne s’occupe pas d’elle. On dirait qu’elle n’existe pas. Qu’elle n’a pas d’existence, d’essence. Elle est transparente, discrète. Elle fait sûrement çà pour se protéger aussi. Moins elle se fait remarquer, moins de problems cela va créer. Si elle est calme et tranquille, si elle fait ses devoirs et lit dans sa chambre, au moins, personne ne lui criera dessus, elle ne déclenchera aucune dispute entre eux, elle maintiendra le calme pour une journée encore. Conclusion: ne pas se faire remarquer est le meilleur moyen d’éviter un drame de plus, une dispute de plus. Discrétion. Oui parce qu’ils font quand même peur ces gens, on ne sait jamais de quoi ils sont capables. Non, ils ne vont pas la taper. A priori. Mais ils peuvent crier, partir, rentrer, claquer des portes, faire du bruit, démarrer tout un drame pour un rien donc mieux vaut ne pas les faire dégoupiller.
Au fond, les besoins de Calara ne sont pas tant importants comme le besoin d’éviter une autre guerre. Se taire est quand même le meilleur moyen d’éviter le drame. Dans la tête de Clara, il y a déjà plein de gens, plein d’amis imaginaires qui peuplent sa vie, des personnes avec qui on peut discuter sans déclencher un drame. Elle a sa vie, à l’intérieur, dans sa chambre. Elle a ses questions, ses doutes, ses envies. Elle joue avec ses Barbies. Elle lit plein de contes et de légendes magiques. Elle est à part. Isolée dans sa tête. Protégée dans son monde. A des années lumière des gens qui vivent dans cette maison ou de ses collègues de classe. Elle est séparée, déconnectée.
Clara se fond un peu avec le papier peint. Honnêtement s’occuper d’elle n’est pas la priorité. La priorité est que ces gens se calment. Mais ces gens ne se calment jamais. C’est comme vivre au Proche Orient. Il y en a toujours un vener contre quelqu’un d’autre. La moindre détonation peut déclencher la guerre. Et toi, si t’es au milieu, ben c’est ton problème mais honnêtement tu n’es pas la priorité. Va voir ailleurs si tu veux qu’on s’occupe de toi.
Clara ne sait juste pas comment faire entendre sa voix. Pour être honnête, elle ne sait même pas à quoi se voix ressemblerait ni ce qu’elle dirait.
Quand çà fait des années que personne ne te demande ce que tu penses, tu as un peu oublié que tu avais une opinion.
Clara ne se sent pas triste ou mal, elle ne sent rien, elle est juste invisible, discrète, prudente.
Ca lui a servi jusqu’à présent. Elle a survécu.
Et puis honnêtement, elle ne sait pas trop ce qu’elle pourrait dire ou faire pour que les bullys se taisent ou lui laissent de la place. Elle a l’impression qu’il ne changeront jamais alors à quoi bon?
Clara est assez seule et désemparée. Elle traverse la vie de façon automatique, elle fait ce qu’il y a à faire. Clara est quand même arrivée à créer une organisation dont le slogan est: Voice. Visibility. Power.
Ironique, non? Parce que Clara est très forte pour aider les autres. Elle voit les choses, bien sûr. Elle les voit sans que les gens aient à lui dire ce qu’il se passe. Elle le voit parce qu’elle l’a vécu et elle sait. Elle a été dotée d’une hypervigilance histoire de sentir quand le vent tourne.
Mais dans sa tête, Clara est perdante. Presque 90 % du temps. Alors elle attend le prince charmant. Quelqu’un qui viendra un jour la sauver de tout ce bordel. Quelqu’un qui la verra pour de vrai, qui la remarquera, qui saura qu’elle existe. Quelqu’un qui l’aimera pour toujours et ne la quittera jamais. Quelqu’un qui lui dira que tout va bien se passer et elle se sentira en paix. Un jour peut-être.
En attendant, elle va dans sa chambre écrire des poèmes sur des hirondelles, sur leur fil, qui parlent longtemps de leur voyage, et leurs ailes, quand elles volent, flottent comme des nuages.
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